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Septembre 2018

Pour un logo inoubliable



Lorsqu'il s'agit de concevoir un nouveau logo, ou refondre une identité visuelle, on évoque souvent un processus, voire une méthode. Et on a raison, car encadrer l'acte créatif est absolument nécessaire. Prévoir chaque étape, depuis le diagnostic jusqu'au logo final, permet d'éviter de nombreuses erreurs et d'assurer une vraie cohérence entre la stratégie de la marque, en amont, et son application visuelle, en aval. La charte graphique doit être le reflet fidèle d'une vision plus globale, où le logo tient une place centrale. Le logo est le produit ultra-concentré de la marque et de ses valeurs. Seule une démarche bien pensée peut aboutir à un tel résultat.

On le constate couramment « l'esprit design » se rapproche peu à peu de « l'esprit scientifique ». On mesure, on évalue, on teste, on quantifie. Aujourd'hui, la conception d'un site web peut ressembler à une expérience de laboratoire. On améliore sa maquette fonctionnelle. On travaille la profondeur de son arborescence et optimise son référencement. On met en compétition 2 versions, A et B, conservant la plus efficace. On teste chaque itération sur des utilisateurs et on affine en fonction de leurs retours par le biais d'un questionnaire. On espère au final produire un résultat optimum, efficace, justifiable. Peut-être aussi cherche-t-on à se rassurer.

Pour autant, la démarche seule ne suffit pas. Chaque projet est différent, et appliquer la même méthode pour chaque client aboutirait à produire sensiblement le même résultat. Et en matière d'identité graphique, c'est précisément ce qu'on cherche à éviter.

Si l'intention d'encadrer un projet est bonne, voire indispensable, elle ne doit pas être un frein à la créativité. Une méthode n'est pas une armure, mais plutôt un tamis qui doit laisser passer l'imprévu, l'idée venue de nulle part et qui tout à coup fait sens, une suggestion un peu absurde à première vue et qui donne finalement une nouvelle perspective au projet tout entier. La méthode ne doit pas fermer des portes, mais plutôt pouvoir les ouvrir, toutes, sans perdre de vue celle qui offre la certitude d'être arrivé à destination. C'est un équilibre délicat à maintenir, et à entretenir, entre le hasard et la raison, entre ce qui était prévu et ce qui peut nous surprendre. L'intuition a toute sa place, une place à part, une place sous le contrôle bienveillant et constructif de l'expérience. Rien ni personne ne doit tenter de la diriger. Ce qui arrive là sur la table, par surprise et sans l'avoir consciemment recherché, doit être accueilli, évalué, travaillé pour devenir une force. Un peu comme l’aquarelliste cherchant avec de l'eau et des couleurs à produire sur le papier des « accidents heureux » et qui, par sa maîtrise technique, deviendront les éléments majeurs et distinctifs de son œuvre.

Si le designer est bien placé pour proposer des alternatives crédibles, il n'a pas l'exclusivité des bonnes idées. Il doit être perméable aux influences extérieures, d'où qu'elles viennent, en restant suffisamment en alerte pour pouvoir détecter « l'accident heureux » susceptible d'enrichir le résultat final. Une nouvelle idée venue de nulle part peut ouvrir une voie vers un logo imprévisible et pertinent, c'est-à-dire révolutionnaire ! Un logo ne doit jamais être une réponse automatique et invariable à un problème donné. Il n'est pas le résultat d'une équation. Si tel était le cas, aucune marque célèbre de téléphone n'aurait pour logo une pomme.

Transition facile avec un exemple concret et fascinant, le logo Bluetooth.
En 1996, Jim Kardach a 27 ans et il travaille comme ingénieur chez Intel à la mise au point d'un système de communication sans fil. Ce projet réunit les marques les plus en vue du moment, dont Ericsson, IBM, Nokia et Toshiba. On imagine sans peine toute la difficulté qu'il y a à mettre d'accord ces organisations qui, d'après Kardach lui-même, n'avaient aucune confiance l'une envers l'autre. Quand il a fallu donner un nom, Kardach a proposé Bluetooth, en référence à un livre qu'il lisait à ce moment-là sur un roi danois du Xème siècle, Harald Ier Blåtand. Surnommé Harald à la dent bleue, le roi aurait eu un goût prononcé pour les mures. Son action majeure fût d'unifier plusieurs tribus concurrentes en un seul royaume du Danemark. Le système Bluetooth, auquel aboutira ce travail collectif, permettra de faire communiquer à courte distance plusieurs appareils d'origines différentes. Le logo Bluetooth sera composé à partir des initiales du roi Harald, dans l'alphabet runique utilisé à l'époque. Pas « friendly », hors du temps, aucune référence directe au système qu'il représente.



Nous connaissons le résultat : un logo mémorable, reconnaissable entre tous, s'affichant souvent aux côtés d'une grande marque et se distinguant d'elle sans jamais l'éclipser. A petite échelle, ce logo est discret mais parfaitement lisible en tous sens. A grande échelle il possède une forte présence, quasi mystique. Brillant. Parfait. Au delà de tout rêve de designer. On parle très peu du designer ou de l'agence qui a dessiné ce logo (petite parenthèse : si vous avez plus d'informations à ce sujet, je suis preneur), mais on retient l'idée de cet ingénieur. Ce symbole représente parfaitement une union impossible, pacifique et nécessaire. Aujourd'hui encore il est aperçu avec soulagement : « Ouf, je pourrai importer mes contacts et imprimer mes photos. »

Si pour ce projet fou, on avait utilisé une méthode en béton, rodée, bornée, quasi-scientifique et validée par un panel d'utilisateurs, nous n'aurions jamais eu un tel logo. On peut imaginer une planche d'inspiration composée d'ondes radio, de nuages et d'antennes. Le système aurait été dénommé par un acronyme consensuel, de type RCS (Radio Communication System) et représenté par un symbole d'ondes radio émises par une antenne. Saluons la clairvoyance des décisionnaires, ceux qui ont finalement le dernier mot, de nous avoir éviter ce consensus tiède et sans saveur en se mettant d'accord sur un standard de communication en commun ET un symbole hors du commun.

En puisant dans une source improbable et en sachant l'écouter, l'explorer et la renouveler, le célèbre B est devenu un standard, indétrônable et intemporel. Il forme aussi un très bon prétexte, et c'est sans doute là sa plus belle victoire, pour raconter une belle histoire.

Un exemple parmi d'autre que la création d'un logo n'est pas une ligne droite. Et ne doit surtout pas l'être. La créativité se nourrit de diversité et d'imprévu. Mieux vaut parfois s'éloigner du cœur du projet, pour trouver ailleurs une identité qu'il n'a pas forcément en lui-même, mais qui peut se révéler par un apport extérieur inattendu.

Un logo est réussi s'il est pertinent, cohérent, facile à utiliser. Mais ne fermons pas la porte à l'imprévu, qui peut faire d'un simple symbole commercial, un logo inoubliable.

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